Page:Créquy - Souvenirs, tome 8.djvu/15

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que je ne fusse pas bien aguerrie. J’avais été sous le feu des accusations populaires, comme un airain glacé. J’avais la conscience tranquille, et c’est là ce qui m’a soutenue pendant toute la révolution. Écoutez bien ceci, mon cher Tancrède, et souvenez-vous-en. Quoi qu’on vous impute, il vous suffira toujours d’être né grand seigneur pour y répondre avec fierté ; mais pour répondre avec dignité, il ne faut pas moins qu’avoir le cœur pur. La dignité, c’est la fierté légitime. Il n’y a pas plus de rapport entre la fierté et la dignité qu’entre une grande naissance et une bonne conscience.

L’abbé Soulavie fut trouver mon fils, qui lui compta les douze cents livres, qui fit des ratures à sa fantaisie, et qui m’apporta le manuscrit de Mme Roland où j’ai toujours regretté de n’avoir pas vu ce qu’elle avait pu dire de lui et de moi. Soulavie dit ensuite à M. de Boulogne que les passages et les observations dont j’étais l’objet n’étaient pas de nature à me désobliger beaucoup, mais que votre père s’y trouvait calomnié de la façon la plus indigne et la plus étrange.

J’approuvai la détermination de mon fils ; mais je me souviens que le Chevalier de Créquy entra dans un désespoir affreux de ce qu’on avait employé cinquante louis si mal à propos. — Vous auriez bien mieux fait de me les donner, nous disait-il, plutôt qu’à cet indigne abbé Soulavie, qui a épousé la fille d’un charcutier.

— La charcuterie ne fait rien à l’affaire, lui dit mon fils ; je sais bien que vous ne dînez jamais qu’avec des boudins noirs ou des pieds de cochon ;