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déjà dit, la fille d’un ouvrier bijoutier, graveur et brocanteur. On imagine aisément que leur bibliothèque ne pouvait pas être bien nombreuse et bien choisie, mais comme elle avait pour la lecture un goût très vif, elle empruntait des livres aux ouvriers compagnons de son père, ou bien aux amis de la maison, ce qui n’avait pas beaucoup moins d’inconvénient. Ainsi le Traité de la Tolérance et le Dictionnaire philosophique, les Questions encyclopédiques, et le Bon sens du marquis d’Argens ; les Mœurs, l’Esprit, l’Espion turc ; Diderot, Dalembert, Raynal et le Système de la nature, tout cela fut annoté, médité, goûté, commenté par l’auteur de ces Mémoires ; et voilà les méditations qui servirent à lui former le cœur et l’esprit.

Les détails où nous allons entrer sont puérils, et par cela même ils ne sont pas indignes d’attention. Je vous ai prié de vous souvenir qu’une étincelle a toujours suffi pour produire un incendie, et l’on voit trop souvent de misérables causes avoir des effets notables

On mena, je ne sais pourquoi, la fille de M. Flipon faire une visite au Marais chez une femme âgée, riche et plus ou moins noble. Mme  Roland parle avec aigreur et curiosité de l’hôtel de cette dame et de son ameublement, de ses laquais, de sa mise opulente et du rouge qui marquait sa qualité. Au reste, Mme  de Boismorel parlait d’une voix haute et froide ; sa physionomie annonçait l’habitude d’être considérée, avec l’assurance de mériter qu’il en fût ainsi. Mlle  Flipon et Mlle  Rotisset, sa tante, furent traitées par elle avec un