Page:Créquy - Souvenirs, tome 8.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
SOUVENIRS

monde et du cœur humain, elle n’avait aucune expérience de certaines choses vulgaires, et je lui disais toujours : Ma pauvre princesse, vous êtes de ces femmes qui croient que les diamans naissent dans les chatons et les fruits dans les corbeilles.

Je me souviens qu’elle avait, à portée de voix, du côté de sa chambre, une famille vocale et instrumentale admirablement experte et qui lui faisait souffrir le martyre ; elle ne pouvait s’expliquer une disposition qui n’avait rien d’analogue à ses habitudes passées, car elle avait eu pendant toute sa vie la passion contraire à cette aversion-là.

Je me suis souvent demandé pourquoi la musique légère m’est insupportable, tandis que la musique qui prie et la musique qui pleure ont beaucoup de charme pour moi ?

Mme  de Monaco me dit un jour, et tout uniment, comme si de rien n’était: — La musique me fait un mal affreux depuis que je ne suis plus jeune. Elle me cause des émotions sans me donner des affections.

Si Mme  de Monaco avait connu les choses de la terre aussi bien qu’elle distinguait les choses du cœur, on n’aurait jamais vu plus habile femme. Elle a toujours été bienveillante et bienfaisante ; mais elle n’était pas restée capable d’amitié, parce qu’elle avait éprouvé trop d’amour et trop souvent. Il en est pour les sentimens comme de la grammaire, où le superlatif exclut toujours le comparatif.

Nous avions encore, en fait de bonne compagnie, la Duchesse douairière de Choiseul, qui philosophait toujours à sa manière, avec une aridité