Page:Créquy - Souvenirs, tome 9.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les soirs dans celui des salons où la noblesse du pays tenait ses assemblées à tour de rôle. La balle de M. Sébastiani faisait le tour du cercle, et comme de juste, elle finissait toujours par revenir au brave commandant qui la remettait bravement dans la poche de son gilet jusqu’au lendemain matin.

Ces choses-là s’exécutèrent avec une complaisance et une régularité réciproques pendant une quinzaine de jours ; mais il survint un malencontreux officier français qui s’avisa d’arrêter, comme on dit, la balle au bond, et au lieu de la faire passer à sa voisine qui ne l’avait peut-être pas vue plus de sept à huit fois, il eut la malicieuse fantaisie de la laisser tomber et de la garder dans le fond de son chapeau.

— Voilà dit-il à l’oreille de sa voisine, une balle qui devait commencer à vous ennuyer, mais je veux mourir si vous la revoyez jamais !…

Jugez quelle fut la surprise de la compagnie en voyant le lendemain ressortir du gilet et reparaître dans la main du commandant Sébastiani une balle de pareil calibre ! On imagina d’abord qu’il avait eu connaissance de l’espièglerie de la veille, et qu’il avait exigé la restitution de sa balle, afin de pouvoir continuer ses démonstrations héroïques avec l’assistance et le témoignage de ce formidable projectile ; mais comme la même expérience a fini par être renouvelée jusqu’à trois fois, vous en conclurez ce qui vous plaira ? Je ne m’en mêlerai point.

Je dois conclure de tout ce que j’entends, car je ne vois presque plus rien hors de mon enclos, que les coutumes et les habitudes de la vie sociale sont toutes changées. On dîne à quatre heures, et l’on