Page:Créquy - Souvenirs, tome 9.djvu/169

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On estoit donc en tranquillité sur le fait de la roue, et l’on vacquoit douloureusement à ces apprets qui devoient en suivre l’exécution du mardi, lorsqu’on apprit le même jour que le comte Anthoine avoit été rompu vif dès le matin sur cette place qu’on appelle la Gresve et où l’on supplicie et meurtrit d’ordinaire les malfaiteurs de la province de France et du ressort de Paris. On adjoutoit que le bourreau lui avoit, toutes fois, par égard ou charité, administré le coup de grâce avant de lui briser les membres ; mais ce qu’il y avoist de plus horrible à penser, c’est que ce malheureux patient avoist eté soubmis à la torture avant d’aller à l’échafaud, et ce qu’il y avoist d’inconcevablement dérisoire après les parolles d’honneur données par le Duc Régent et les promesses reçues par cette Haute Noblesse, c’est qu’il avoist été mis a mort coste à coste, avec le scélérat piedmontois qui avoist réellement commis le meurtre et qui n’étoist qu’un homme de néant ou peu s’en falloit. J’ai envoyé sur-le-champ au lieu de l’exécution un gentilhomem a moy pour estre assuré de la triste réalité des choses, et l’on m’a rapporté que les plus proches parents du Comte Anthoine s’étoient rendus en grand appareil sur le lieu même, et dans leurs carrosses étant tous les rideaux estoient fermés : leurs carrosses étant rangé coste à coste au nord de la place de la Gresve, où ils ont attendu jusqu’à ce que leurs estaffiers les vinssent advertir que l’exécution étoit consommée, et que le témoin judiciaire d’icelle se fust déposté du lieu qu’il occupoit d’office à cette fin de mission. Pour lors de ce que lesdits Seigneurs et Princes ont fait détacher le corps de la roue et fait apporter dans un carrosse à l’un d’eux, et m’a-t on dit que Monsieur de Crequi avoist tenu mesmement jusqu’audit carrosse une des jambes rompues qui ne tenoist plus que par quelques lasniesres de peau sanglante au restant du corps, ensuite de quoi je me suis rendu chez la Comtesse de Longni-Montmorenci pour jeter de l’eau bénite sur le corps que j’ai trouvé déjà mis au cercueil et déposé dans une chapelle ardente, avec un clergé nombreux qui lui chantoit l’office de libera. Il y a eu grande affluence de devoirs rendus pendant les quarante-huit heures suivantes, et un nombre infini de condoléances des plus bienséantes et respectueuses ; j’adjouterai que l’on ne doute point qu’il n’aist été supplicié injustement. On a dit pendant ces deux jours des messes continuelles à deux autels dressés