Page:Créquy - Souvenirs, tome 9.djvu/73

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entourer leur col, un système de cravatte inconcevable ; mais regardez-les dans les collections d’estampes, et dites-moi ce que vous pensez de leur petit bâton de cep de vigne en forme de cuillère-à-pot.

Vous portez le sceptre du ridicule, disait Mme de Staël au jeune Thélusson (il y a toujours, et je vous ai dit pourquoi, des mailles-à-partie continuelles entre ces deux familles genevoises) ; et malheureusement pour Mme de Staël, elle était costumée ce jour-là en Odalisque, en Sultane-favorite, en Houri mahométane ! — Madame l’Ambassadrice, ou plutôt, ci-devant baronne, c’est à vous qu’il appartient de le décerner !… lui répondit l’incroyable, et peu s’en fallut qu’elle ne s’en pâmat d’émotion.

On n’a rien vu de pareil à cette sensibilité maladive et cet excès de faiblesse de Mme de Staël contre la moquerie. C’est le propre d’une malheureuse personne qui ne saurait se tenir dans sa position naturelle, et qui voudrait produire le double effet d’une femme charmante, et d’un homme d’état. Quand on a la conscience de n’avoir aucune prétention qu’on ne puisse justifier raisonnablement, on est toujours en pleine sécurité d’amour propre. Je n’ai certainement pas autant de motifs de confiance et de sécurité que Mme de Staël, Je n’ai pas l’honneur d’appartenir à M. Necker, et je n’ai jamais fait un livre. Je n’en ai jamais dédié au peuple français, conséquemment ; mais j’ai la conviction de n’avoir aucune illusion volontaire, aucune prétention ridicule ; aussi vous puis-je assurer que je verrais tous les Thélusson du monde et tous les citoyens de Genève