Page:Crevel – L’Art dans l’ombre de la maison brune, paru dans Commune, 1935.djvu/7

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En face de ce qui se crispe, argue de traditions pour mieux se défendre d’inventer et se retenir aux branches mortes, comment ne pas répéter la phrase si souvent et jamais assez citée d’Héraclite : « L’on ne se baigne jamais deux fois de suite dans le même fleuve… » Et le fleuve ne baigne jamais deux fois de suite le même « on ». Voilà pourquoi les baigneurs qui se sentent fondre et tomber en morceaux recherchent les fontaines pétrifiantes. Ils font en sorte qu’un caillou leur tienne lieu de cervelle. Ils ne veulent que bornes frontières et cloisons étanches. Et quoi de plus abominablement imperméable que cette suffisance calcaire qui servit de méninges à la France victorieuse. La démocratie bourgeoise au cœur de silex sut unir à ses vieillards les mieux endurcis d’autres menhirs d’une granitique souplesse. Et ces antiquailles de piétiner, tailler, rogner à vif, à même l’Europe du Centre et de l’Est, pour y organiser la misère intellectuelle. Si l’hitlérisme est l’enfant maudit du traité de Versailles, jamais père n’apparut à ce point responsable des méfaits de son fils.

Brouet de peste brune, sauce de terreur blanche ou potage tricolore au fond de l’assiette réactionnaire, c’est toujours le même os de seiche. Et s’il pouvait parler ce rebut des marées, il ne tiendrait pas un autre langage que cette vieille carcasse de Charles X qui, de 1789 à 1815, se vantait de ne rien avoir appris. Et encore ce manque de vergogne dans l’imbécillité vaut-il mieux que toutes les hypocrisies classiques et néoclassiques. Si, un siècle et demi après la mort d’André Chénier, Charles Maurras s’acharne à en célébrer le culte, c’est que l’homme aux alcyons demeure celui d’un vers.

« Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. »

Jugez plutôt du penser nouveau. Le lendemain même de l’assassinat de Marat, le fabricant d’Oarystis, le ci-devant cadet gentilhomme au régiment d’Angoumois et attaché d’ambassade à Londres, l’élégiaque, publiait une ode à la gloire de Charlotte Corday comme si la mégère poignardeuse avait été colombe poignardée. De ce fait, la jeune Tarentine prenait figure de harpie. Elle et son chromo de mer Ionienne s’en allaient rejoindre, dans le cul-de-sac des sanglants « et ron et ron petit patapon » artistiques, Mme Veto née Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine, son Trianon et ses félonies. Un penser nouveau ne saurait se vêtir à l’antique. Son premier élan crève la baudruche mythique. Sinon ce sera la même mascarade autour de la même vieille poire tapée de feinte, de la même vieille noix d’hypocrisie. Pour mettre un terme au distinguo des cuistres entre fond et forme, il est temps de remplacer le fameux « Dis-moi qui tu hantes… » par certain petit « Dis-moi comment tu contiens, je te dirai ce que tu contiens ». Nous savons tous que les ascenseurs mérovingiens de la plaine Monceau n’ont pas été faits pour hisser les fines fleurs de l’audace. Dans les quar-