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tiers de résidence, ces immeubles, dont les façades s’ornent de guirlandes Louis XVI, comme d’une veine trop saillante le front de l’artério-sclérosé, ne sont-ils pas les dignes écrins des rêves que peuvent faire ces petits bijoux d’actionnaires de Suez.

À Munich, une publicité monstre force à visiter certain « Siedlung », colonie d’habitations à bon marché, aux abords de la ville. Or ces suites de maisons en série se trouvent uniformément coiffées de toits pointus, monotone sottise d’autant moins excusable que les vieux pignons de Rothenburg, par exemple, auront permis de mieux comprendre et de mieux aimer une poétique Allemagne et sa manière architecturale de s’exprimer. Mais à quoi bon, en 1935, ce grenier où la dactylo, l’employé de bureau, de magasin, le petit boutiquier n’auront rien à ranger. Toute cette place perdue quand tant et tant n’ont pas où s’abriter, tout ce vide en robe d’ardoise, quel symbole !

C’est un mal foncier que révèlent et prolongent l’idolâtrie du motif périmé, la vénération des cadavres formels et la rage à les ressusciter. Il ne veut certes point la transformation du monde celui qui replâtre le vieux gâchis, consolide les façades écaillées et rafistole les ruines qui s’opposent au libre jeu des choses et de leur reflet dans l’homme. Derrière les murs sempiternellement rabâchés, il y a un désordre dont il s’agit de prendre conscience en vue d’un ordre nouveau. Si la censure vise l’art dans ses plus originales expressions, c’est que l’art, c’est que les artistes ont encore et toujours beaucoup à dire, beaucoup trop à dire au gré de la réaction.

René CREVEL.