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Page:Crevel - Babylone, 1927.djvu/199

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qu’effleurer sa fragilité. Midi. À cette heure-ci, à cet âge-là, Cynthia regardait les acrobates de nacre, et les ballons d’opale à même un ciel d’eau. L’anniversaire, tu l’as vécu au seuil du paradis des frissons et des loques, mais pas plus que Cynthia dans son aquarium, tu ne retourneras vers tes sœurs aux jambes écartées. Silence. Le souvenir n’est plus un doux pavot. Descends vers le port. Marche, à jamais dédaigneuse du temps et de l’espace. Fini le matin pourpre parmi les bouquets de coquillages. Continue ta promenade. Et pas un mot de désespoir. Un arc-en-ciel louche suit le caprice clapotant des flots. Tu te rappelles les noyés que se plaisait à imaginer Amie, dans ce mouvant tombeau. Toi-même, dis, tu te vois en Ophélie, glissant sur l’huile qui salit la mer. Et par quoi remplacerais-tu ces longues fleurs pourpres dont la jeune fille ceignit son front avant d’aller au ruisseau, ces longues fleurs pourpres que les vierges appellent doigts d’homme mort, mais que les bergers silencieux désignent d’un nom moins réservé ? Tu te vois, la chevelure poisseuse de ces violets que les poissonnières vendent avec des petits clins d’yeux, à des voyageurs, qui se demandent pour quel stupre ont été arrachés aux rochers ces obscènes fruits de mer ?