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Page:Crevel - Babylone, 1927.djvu/79

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— Le fleuve du bonheur ? Je veux me baigner dans ses eaux. Quel est son nom ? Quel pays arrose-t-il ?

— Le fleuve du bonheur n’a point de nom. Il n’arrose aucun pays.

— Comment, alors, pourrai-je le connaître jamais ?

— Puisque tu insistes, ô ma sœur, pour toi je manquerai aux muettes coutumes des poissons. Le fleuve dont je me suis échappée cette nuit, poisson-présage, ce fleuve n’est point né de quelque insensible glacier ou d’une source banale, mais d’un altier et noble visage. Le bonheur, pour toi et ta maison si longtemps éprouvées, coule à flots d’une barbe royale. Dès lors, il t’est facile de savoir de qui viendra votre salut.

— Son nom, son nom ? Je n’ose le dire.

— Et tu le sais. Tu sais qu’il s’agit de ce jeune magistrat d’avenir entrevu cet après-midi à la villa des Soupirs. Toi-même n’en as-tu point déjà parlé aux tiens.

— Petitdemange.

— Petitdemange lui-même. Alfred Petitdemange.

— Merci ô ma sœur, mais ne t’en va pas encore. Demeure près de moi et, si tu pars, laisse-moi espérer que bientôt je te reverrai.