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Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/64

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notre soirée, manifestait une inquiétude qui pour être atténuée n’en demeurait pas moins de la jalousie. Elle en parut d’ailleurs flattée et interrogea :

« Mais toi, chéri, es-tu allé vraiment voir ta mère ? » Sans même se donner le mal de dire un simple oui ou simple non, Cyrille se mit à jouer avec son monocle et Cyrilla fut une femme très heureuse. Les moindres gestes de son mari lui étaient prétextes à s’extasier ; même elle admira Boldiroff lorsqu’il fit tomber son carreau sur la table contre laquelle il se brisa : « Cyrille casse tout ce qu’il touche ; ce n’est pas de la maladresse ; on dirait qu’il cherche à se rendre compte. »

Grâce aux souvenirs d’enfance qui expliquent l’homme, je me rappelai que parfois mon inquiétude m’avait semblé comparable à celle du baby qui déchire le ventre du polichinelle pour voir ce qui s’y trouve ; or, quoiqu’il fût téméraire à moi de le vouloir juger si tôt, Boldiroff me paraissait être demeuré l’un de ces enfants riches auxquels les petits pauvres donnent spontanément leurs poupées d’un sou ; ces enfants riches n’ont guère souci des intentions ; par indifférence, ennui, goût diabolique peut-être, ils cassent les poupées d’un sou comme les plus belles, et le mépris qu’ils ont des êtres et des choses leur vaut cependant une singulière séduction ; Cyrille par exemple avait un sourire qui donnait remords de ne pas l’admirer à l’égal d’un dieu.

On n’avait pas grand-peine à comprendre qu’il eût fait oublier à Mlle Dupont-Quentin l’éthique de Spinoza et l’impératif catégorique ; bien entendu la jeune femme ne pouvait deviner que le charme de Boldiroff était un masque, une expression définitive, anonyme quant à la volonté, la