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Page:Crevel - Détours, 1924.djvu/90

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— Je voudrais savoir qui la joue. Vous êtes folle en vérité, folle. »

Elle devient une femme nerveuse ; deux larmes tachent ses joues. Je me lève. « Partons.

— Non, Daniel, non, pas encore ; écoutez-moi ; il y a cinq ans j’étais neurasthénique ; c’est alors que j’ai rencontré Cyrille dans un sanatorium du Tyrol. Je n’étais en Europe que depuis quelques mois ; un homme, le plus bel homme et le plus menteur que j’aie jamais connu, m’y avait menée ; c’est lui qui m’a donné le talisman que je porte en bague à l’index. Vous trouvez mon histoire idiote, n’est-ce pas ? Vos cancans de famille mis à part, tout vous semble ridicule, Daniel ; cet homme prétendait avoir été élevé dans un temple, sous la garde d’une panthère noire. Vous souriez ; ah ! je sais, vous trouvez que je parle comme un prospectus d’Agence Cook : temples, fauves, végétation géante. Mais, mon cher, quand comprendrez-vous que je suis mille fois moins ridicule que votre petite compatriote, étudiante en philosophie, cette imbécile de Scolastique.

— Scolastique n’est point en cause.

— Pardi, vous la défendez, vous l’aimez déjà. »

Le garçon s’éveille en sursaut ; elle a parlé très fort. Je la force à sortir. Dans la rue elle me prend le bras : « Je suis si fatiguée », gémit-elle. Je me souviens d’une autre nuit où par sa faute j’ai marché en plein cauchemar ; il me suffit de la savoir fatiguée pour que, spontanément, j’exige la vengeance que les hommes en bonne santé ne remettent jamais au lendemain. Croyant qu’après s’être décidée, il lui en coûte de parler, je me jure ne la point quitter avant de tout savoir ; mais le temps de chercher