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Page:Crevel - Feuilles éparses, 1965.djvu/45

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Sa parole douce, aux mots neufs, aux échos d’humour, vous barre la route. On ne s’en va plus. Mais lui, le poète, d’où vient-il ? Quelle étrange berline à travers le temps et l’espace l’a mené pour les repeindre de sa verve jusqu’à ce lieu, jusqu’à cette minute sans couleur ?

Prestidigitateur qui changez les mornes et petites bourgeoises Batignolles en mystérieuses Batiplantes, êtes-vous passé par le jardin des gnolles. La gnolle est la femelle du gnou, la cousine de l’unicorne. Le vieil omnibus, aujourd’hui défunt, qui allait autrefois du Jardin des Plantes aux Batignolles, vient de ressusciter pour rouler sur les nuages de nos rêves : Batiplantes, jardins des gnolles. Nous irons aux jardins gnolles, les syllabes ont voyagé d’un mot à l’autre, ainsi une faune mystérieuse arrive d’un continent encore inconnu, et, de ses surprises, va peupler un jardin zoologique où l’enfance s’énervait de ne rencontrer aucun mystère, aucune cocasserie. Batiplantes, jardin des gnolles, sur l’impériale d’une lourde guimbarde, traînée par deux percherons, à la lenteur demeurée proverbiale, les amis de Jarry chantaient à pleins gosiers : La Chanson du Décervelage, Batiplantes, jardins des gnolles, le toit d’un omnibus fantôme offre un lot bringueballant de refrains, histoires, mots dignes de ceux qui métamorphosèrent le père Ubu en cet être miraculeux, ce personnage quasi légendaire, dont nous savons mieux quelle existence il fit l’honneur de servir emmoutardée à MM. ses contemporains, les soirs où Léon-Paul Fargue a parlé.

Fargue, lui qui chanta la Grenouille du Jeu de tonneau, n’a qu’à nous dire qu’on démolit son quartier, là-haut, faubourg Saint-Martin, et sous la pioche des terrassiers c’est une légion de rats qui s’enfuit. Rats du faubourg Saint-Martin, grenouilles du jeu de tonneau, de vulgaires rongeurs, des batraciens de zinc, ont vite fait de devenir animaux fabuleux. Alors, le plus banal des bars, parce que la