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III
PRÉFACE

langue, toute l’histoire d’un peuple, et l’esprit même de l’artiste qui leur a donné la dernière forme. Ces images y sont concentrées et comme latentes : il faut les évoquer, les forcer d’apparaître et de s’épanouir. Pour s’aider dans ses recherches, le philologue peut et doit interroger les arts proprement dits, les mœurs, les institutions, l’histoire politique ; il y trouvera des lumières sur le génie de la race et sur celui du temps, et cette connaissance éclairera les textes. Mais il faudra toujours qu’il en revienne aux textes, puisque l’objet précis de son étude est la manière dont cet esprit général d’un peuple s’est reflété dans les œuvres d’art qui s’exécutent avec des mots. Grammaire, histoire de la langue, histoire de la phrase, histoire du sens des mots, voilà ce qu’il doit d’abord posséder à fond pour acquérir l’intelligence de son sujet. L’historien des lettres ressemble par certains côtés à l’historien de la nature : il a comme lui sous les yeux des faits qu’il décrit, qu’il analyse, qu’il compare ; mieux que lui peut-être il saisit la liaison des formes successives, les conditions mêmes des changements ; comme lui, il est avant tout un observateur impartial.

Est-ce à dire qu’il n’ait jamais à juger, et que, satisfait de connaître, il ne doive pas sentir et apprécier ? Sainte-Beuve, un des maîtres de l’esprit historique en matière littéraire, ne le pensait pas : « Soyons, disait-il, comme les naturalistes, faisons des collections ; ayons-les aussi variées et aussi com-