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IV
PRÉFACE

plètes qu’il se peut, mais ne renonçons point pour cela au jugement définitif et au goût, cette délicatesse vive : c’est assez que nous l’empêchions d’être trop impatiente et trop vite dégoûtée, ne l’abolissons pas. La vraie critique, telle que je me la définis, consiste plus que jamais à étudier chaque être, c’est-à-dire chaque auteur, chaque talent, selon les conditions de sa nature, à en faire une vive et fidèle description, à charge toutefois de le classer ensuite et de le mettre à sa place dans l’ordre de l’Art[1]. » Il y a dans les lettres comme dans la nature des êtres vigoureux et beaux, et d’autres qui sont faibles, chétifs, mal conformés ; il y a des avortons, il y a des monstres ; il y a aussi des âges différents : à côté des formes indécises et comme ébauchées de l’enfance, la plénitude de la maturité, puis le déclin. L’observateur doit noter et dire tout cela. Ce qu’il faut seulement lui demander, c’est de ne pas mépriser, dans les grâces encore imparfaites de l’enfance, les promesses de l’avenir, et de ne pas prendre un début pour une décadence ou un renouvellement pour une barbarie ; c’est aussi de ne pas confondre l’ignorance d’un idéal particulier avec la méconnaissance des lois éternelles et fondamentales de la pensée. Quant à croire que la vivacité des impressions littéraires s’émousse dans ces recherches en apparence exemptes de la préoccupation d’admirer, ce serait une grande erreur. Le sens du beau s’affine

  1. Causeries du Lundi, t. XII, p. 191.