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XIII
PRÉFACE

On peut noter quelques exceptions, au moins partielles. Je n’ai pas besoin de rappeler les pages célèbres de la Lettre à l’Académie française où Fénelon s’exprime avec une justesse si délicate non seulement sur Démosthène (beaucoup de goût suffisait pour les écrire), mais aussi, chose plus notable, sur le naturel délicieux de la tragédie grecque, sur « les peintures si naïves du détail de la vie humaine » dans l’Odyssée, et enfin sur tout ce qu’il appelle ailleurs (dans sa lettre à La Motte, du 4 mai 1714) « l’aimable simplicité du monde naissant ». Le Télémaque lui-même, malgré l’abîme qui le sépare de l’Iliade ou de l’Odyssée, ne pouvait être écrit que par un homme qui goûtât la poésie homérique comme Fénélon seul peut-être à cette date la goûtait. Le sentiment littéraire, à ce degré de finesse, suppose un certain sens historique. On sait que Fénelon demandait aux historiens d’observer dans leurs récits et dans leurs tableaux la variété des mœurs, ce qu’il appelait il costume. En littérature comme en histoire, il sentait d’instinct la différence des âges, et cela donnait à son goût une délicatesse bien rare alors. Un peu auparavant, sans qu’on puisse fixer la date avec précision, Saint-Évremond (mort en 1703) avait dit, lui aussi, son mot sur la querelle des Anciens et des Modernes, et exprimé à ce sujet des vues littéraires particulièrement pénétrantes et judicieuses[1] : « Si

  1. Dans son morceau Sur les poèmes des Anciens (Œuvres complètes, éd. édition Des Maizeaux, t. V, p. 118).