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222 CHAPITRE IV. — T/ART DANS L'ILIADE

Tautrc acharné à la poursuite ; devant, un brave fuyait, mais, derrière, un guerrier bien meilleur encore le poursuivait d'un pas agile ; il ne s'agissait pas alors de gagner une brebis ou une peau de bœuf, prix ordinaires proposés aux coureurs ; c'était pour la vie d'Hector dompteur de coursiers qu'ils luttaient de vitesse. Quand des chevaux habitués à vaincre courent comme emportés, ils tournent autour de la borne : un grand prix est proposé au vainqueur, soit un trépied , soit une femme dont le mari est mort ; ainsi Achille et Hector tournèrent trois fois autour de la ville de Priam d'une course efTrénée, et les dieux contemplaient ce spectacle ' . »

Tout est raison et justesse dans cette narration, si pathétique pourtant. Ni digression , ni réflexions oiseuses, ni remplissages d'aucune sorte, ni omis- sion de circonstances touchantes ou simplement nécessaires. Le sentiment lui-même, si sincère et si fort qu'il soit, n'est point ce qui conduit le poète ; c'est la pensée qui le mène, et par conséquent c'est la raison. Jamais son émotion ne l'écarté de son des- sein, jamais elle ne l'emporte au delà du but. Chaque chose est à sa place et reste dans sa mesure ; tout a son utilité, dramatique ou morale ; on sent là je ne sais quelle sereine possession de soi-même associée à la sensibilité la plus profonde et à l'imagination la plus forte. Si la personnalité du poète se montre si peu dans les récits de l'épopée grecque et si les choses seules y appellent notre attention, c'est pré- cisément en raison de la pureté des images qui viennent tour à tour se réfléchir dans ce limpide miroir. Il n'y a là que la nature même et la vérité, découvertes du premier coup par une merveilleuse intuition.

Mais ce qu'il faut remarquer surtout dans les récits de ï Iliade, comme le trait vraiment hellénique,

1. Iliade j XXII, 131.

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