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LE RECIT. ORDRE ET MOUVEMENT 221

péties, qui se fussent évanouies entre les mains d'un moindre poète, et qui, dans l'œuvre homérique, ont toutes leur valeur propre par la manière éton- nante dont chaque situation a été tour à tour dis- cernée et distinctement représentée. Qu'on relise par exemple, entre toutes ces scènes, celle de la fuite. Avec quelle clarté n'est-elle pas détaillée! Comme chaque moment en est indiqué et caracté- risé avec justesse ! Tout est vu et dessiné d'un trait, les acteurs, leurs mouvements, le lieu du drame et les souvenirs qui s'y rattachent,. l'action elle-même et ses phases :

« Hector attendait ; Achille vint à lui, semblable à Enyalios, dieu guerrier et bondissant ; sur son épaule droite, sa lance, taillée dans un frêne du Pélion , vibrait dans sa course d'un mouve- ment terrible ; autour de sa poitrine, l'airain resplendissait sem- blable à la lueur d'un grand feu ou à l'éclat du soleil levant. Quand Hector le vit, un tremblement le saisit ; incapable de tenir pied désormais, il n'osa pas rester auprès des portes, et, terrifié, prit la fuite. Alors le fils de Pelée bondit après lui, sûr de ses pieds agiles, aussi prompt que l'épervier des mon- tagnes, le plus rapide des oiseaux, quand il fond sur une pa- lombe ; celle-ci, sous les serres de son ennemi, hâte sa fuite ; l'épervier, déjà sur elle, pousse des cris aigus, et sans cesse se jette en avant, affamé de la saisir. Tel Achille, avide de sa proie, volait droit à Hector; et le Troyen, tout trem- blant, se rapprochait du mur de la ville d'une course effarée. Et ainsi au pied de la tour du guet et du figuier sauvage, tous deux, serrant le mur de près et suivant la route des chars, ils passèrent ; et ils atteignirent les bassins limpides où jaillissent deux sources du Scamandre tourbillonnant. L'une roule des flots tièdcs, et une vapeur s'en élève, comme si un feu brûlait en-dessous; l'autre en été coule aussi froide que la neige ou la grêle, ou que l'eau congelée. Tout auprès sont de vastes et beaux lavoirs de pierre, où les femmes des Troyens et leurs filles gracieuses lavaient les riches étoffes autrefois, quand c'était la paix, avant que les fils des Achéens ne fussent venus. C'est là qu'ils passèrent alors en courant, l'un fugitif.

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