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248 CHAPITRE IV. — L ART DANS L'ILIADE

touchante vérité morale dans le sentiment qu'elle éprouve pour le vaillant héros, quand il reproche à Paris sa mollesse :

« Hector, quelle sœur as-tu en moi ? Une femme auda- cieuse, malfaisante et funeste. Ah ! pourquoi, le jour où ma mère me mit au monde, un coup de vent furieux ne m'a-t-il pas emportée au loin dans la monlaprne ou dans les flots de la mer bruyante ? Que n y ai-je été engloutie avant que tout ceci n'arrivât î Ou du moins, puisque les dieux en avaient décidé autrement, que ne m'ont-ils donné d'être l'épouse d'un homme vaillant qui aurait su s'indijj^ner et sentir l'outrage? Quant à celui-ci, nulle volonté en lui ni maintenant ni jamais; sa faiblesse lui vaudra plus d'une honte. Allons, entre chez nous, frère, et assieds-toi sur ce siège, car tu as beaucoup à souffrir à cause de moi, misérable, et à cause de la faute de Paris ; Zeus nous a infligé une triste destinée, afin que nous soyons dans l'avenir un sujet de chants parmi les hommes *. »

Ses lamentations du vingt-quatrième livre sur le corps d'IIcctor ne sont en quelque sorte que le dé- veloppement de ce qui apparaît là : à travers ses amers regrets, se montre le souvenir d'une admira- lion respectueuse et tendre à la fois :

« Hector, toi qui me fus cher entre tous les frères de mon mari, je suis l'épouse d'Alexandre issu des dieux, car c'est lui qui m'a amenée à Troie ; que ne suis-je morte auparavant ! Voici déjà la vingtième année que j'ai quitté mon pays ; et jamais, durant ce temps, je n'ai entendu de toi un seul mot blessant ou léger. Au contraire, si quelque autre dans le palais me parlait durement, soiL l'un de mes beaux-frères, soit une de leurs femmes ou l'une de tes sœurs, soit ma belle-mère — car Priam, lui, était toujours pour moi comme un tendre père — qui que ce fût, tu le réprimandais, et tu me protégeais de ta bonté et de tes douces paroles. Voilà pourquoi je pleure à la fois sur toi et sur moi, le ca'ur plein d'une anière tris-

1. Iliade, VI, 344.

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