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LE RECIT 357

racharnement des vainqueurs, que le poète revient par exception à l'ancienne manière *. Ce n'est pas tout; non seulement le nombre des comparaisons est beaucoup moindre dans VOdyssée que dans Vlliade^ mais en outre celles qu'on y trouve ont un caractère différent. Le plus souvent, elles servent, non plus à agrandir les conceptions, ni à orner le récit, mais à expliquer les choses représentées. Lorsque Ulysse, avec Taide de ses compagnons, enfonce le pieu brû- lant dans Tœil du Cyclope, le poète le compare à un charpentier qui à l'aide d'une tarière perce une poutre, et il nous fait voir le mouvement de l'outil, tiré alternativement dans les deux sens par deux équipes d'ouvriers*. Recherche d'exactitude qui prouve assez que le besoin de décrire avec précision commençait à prédominer dans la poésie sur le désir d'idéaliser. Et cela est plus sensible encore, quand, aussitôt après, le narrateur nous dépeint l'horrible^ blessure du Cyclope :

« Lorsqu'un forgeron plonge dans l'eau froide une lourde hache ou une doloire qu'il veut tremper — car c'est là ce qui donne au fer sa force — le métal bouillant crie au milieu de la vapeur; ainsi l'œil du monstre sifflait autour du pieu d'olivier^. »

Si un des poètes de VIliade avait eu à traiter ce passage, on peut être assuré, ce me semble, qu'il n'aurait pas décrit de cette manière. Ce qui l'eût préoccupé, c'eût été de traduire par une compa- raison hardie et saisissante la force de la douleur subite qu'éprouve le monstre ou l'intensité effroyable de ses clameurs. Par instinct, il aurait cherché l'effet

1. Odyssée, XXIÏ. 299-309.

2. Odyssée, IX, 384-388.

3. Odyssée, IX, 391-394.

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