Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/417

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courage. Son corps était enflé, l'eau salée coulait de sa bouche et de ses narines ; sans souffle et sans voix, il restait étendu sur le sol, à demi-mort ; une fatigue douloureuse le pénétrait. Mais quand il eut repris haleine, quand le sentiment se réveilla en lui, il rejeta au loin l’écharpe d’Ino... et faisant quelques pas pour s’écarter du fleuve, il se coucha dans les roseaux du bord et il baisa la terre nourricière des hommes[1]. »

Sa douceur, quand il s’adresse à Nausicaa, sa dignité chez ses hôtes phéaciens, forment autant de nuances délicates dans son caractère et révèlent une nature riche dans sa simplicité.

Une fois qu’Ulysse est à Ithaque, c’est-à-dire dans toute la seconde partie du poème, sa force d’âme se montre à chaque instant par la contrainte qu’il exerce sur lui-même jusqu’au dénoùment, en se dissimulant soit à ses ennemis, soit même à ses amis. C’est un grand et touchant spectacle que celui de cet homme qui est enfin dans sa patrie si désirée et qui ne peut en jouir comme il le voudrait. Mais lorsque de plus il est insulté par le chevrier Mélantheus ou même outragé et maltraité par Antinoos, alors cette dissimulation devient vraiment dramatique, car elle implique une lutte terrible de la volonté contre la plus naturelle des passions:

« Tout en parlant, Antinoos avait lancé l'escabeau qui frappa Ulysse à l’épaule droite, entre le dos et le cou. Il resta ferme comme un rocher, inébranlable sur ses pieds. Le projectile d’Antinoos ne le fit pas même chanceler; mais, muet, il secoua la tête, sombre et absorbé dans ses pensées[2]. »

S’il y a quelque chose à reprocher à cet admirable rôle dans cette partie du poème, c’est peut-être un certain excès dans cette possession de soi-même.

  1. Odyssée, V. 445-463.
  2. Odyssée, XVII. 462-465.