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368 CHAPITRE VII. — L'ART DANS LODYSSEE

Nous voudrions que des sentiments si durement contenus vinssent tout-à-coup à se décharger. Ils éclatent au XXII* livre, au commencement du mas- sacre des prétendants, dans l'explosion de colère par où débute cette scène :

« Ah ! chiens, s'écria le héros, vous ne pensiez pas que je reviendrais chez moi du pays lointain d'Iiios, lorsque vous ruiniez ma maison, lorsque vous faisiez violence à mes ser- vantes, lorsque, moi vivant, vous courtisiez ma femme, sans craindre ni les dieux, qui habitent le vaste ciel, ni la ven- geance future d'aucun homme. Eh bien! aujourd'hui, tous, tant que vous êtes, vous voici aux portes de la mort'. »

Cela est superbe, mais nous voudrions un peu plus. Il y avait d'autres passions dans l'âme d'Ulysse que la colère et la soif de se venger. Ces affections si profondes qui sont restées vivantes dans son cœur depuis vingt ans, nous avons besoin de les voir déborder librement après celle violente contrainte. Elles se montrent assurément dans les scènes de reconnaissance de cette seconde partie. Mais il semble que le narrateur ait quelque scrupule d'in- sister sur ces divines faiblesses du cœur et qu'il nous en ménage le spectacle d'une manière bien parcimonieuse. Ulysse est plus tendre, plus profon- dément humain dans les cliants de la première partie; il devient plus dur dans ceux de la 'seconde, où la contrainte est une nécessité de son rôle, et ridéal de fermeté que le poète a devant les yeux ôte à son génie quelque chose de sa liberté.

Mais quoi qu'il faille pcnseï' de ces légères défec- luo.sités qu'on lenconlrc dans toute auivre humaine, la haute valeur poétique et niorale de ce caractère ressort d'elle-même et frappe immédiatement tous

1. Odyssrc, XXII, 35-'il.

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