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HESIODE 473

besoins de la composition. Voici ce fait : la succes- sion du père a été partagée entre ses deux fils. Perses, envieux et dissipateur, ne s'est pas trouvé satisfait de ce qui lui était attribué. Pour augmenter sa part, il a plaidé contre son frère, et des juges gagnés par ses présents l'ont en effet favorisé aux dépens d'Hésiode. Ce bien mal acquis ne lui a pas profité : ennemi du travail, il a laissé dépérir sa pro- priété; et réduit à la misère, tantôt il vient implorer son frère, tantôt il songe à plaider de nouveau contre lui.

D'après cela, on peut se représenter Hésiode, pen- dant une partie de sa vie au moins, comme établi dans son pays natal auprès de l'Hélicon, et là tra- vaillant énergiquement à faire valoir son petit do- maine, que son frère lui dispute. Voilà certes un poète bien différent des aèdes ioniens. Ceux-ci sont des chanteurs de profession, qui gagnent leur vie en exerçant leur art; hôtes salariés, ils vont de maison en maison, fréquentant surtout les riches et les grands. Le poète béotien ne fait pas de la poésie son gagne-pain; c'est pour lui une noble distraction ou un moyen d'exprimer avec autorité des vérités utiles; aussi ne flatte-t-il personne; son œuvre est un enseignement et quelquefois une satire, jamais une glorification. Il a déjà ce franc parler, cette li- berté hautaine et mordante, qui dénote l'homme indépendant, les mômes qualités au fond qu'Archi- loque poussera bientôt jusqu'à Texcès. Lorsque Lu- cien raillait Hésiode, il avait tort de méconnaître ce qu'il devait, lui moqueur et satirique, à l'un des pères de la franchise et de la libre parole.

C'est par cette franchise innée qu'il faut expli- quer la vocation poétique de Fauteur des Travaux. Mais une raison si simple ne pouvait suffire aux

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