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LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE

La race hellénique est essentiellement fine d’esprit[1]. « Dès les temps anciens, dit Hérodote, l’Hellène s’est distingué du barbare en ce qu’il est plus avisé et plus dégagé d’une sotte crédulité[2]. » Ce n’est pas là le fait d’un temps ni d’un groupe d’individus en particulier. La finesse d’esprit se montre chez les plus vieux poètes épiques comme chez les grands tragiques du ve siècle et jusque chez les sophistes de la décadence. Et dans l’existence même de la nation, elle n’est pas moins manifeste que dans la littérature. Elle se mêle à la vie sociale, où elle entretient et excite le goût de la moquerie, des controverses, des contes, des apologues, des sentences ingénieuses ; elle cherche et trouve son emploi dans les affaires, notamment dans la finance et le commerce ; elle domine enfin la vie politique ; car, non seulement à Athènes, mais dans chaque ville de Grèce, nous voyons, partout où quelque lumière d’histoire vient à nous éclairer, des hommes qui traitent finement de leurs intérêts.

Il ne faut pas se laisser tromper à cet égard par certains témoignages anciens trop vile acceptés, qui ont besoin d’explication. On oppose souvent, non sans raison, la gravité du génie dorien à la subtilité élégante du génie ionien ; on plaisante encore, d’après l’autorité d’une fable ésopique, sur la niaiserie des Grecs de Kyme, et on cite proverbialement la lourdeur des Béotiens. Ce sont là ou des vérités relatives fort grossies ou de simples boutades propagées par la malignité. Les peuples qui ont l’esprit fin, et par conséquent satirique, sont les plus portés

  1. Ingeniorum acumen. Cic. pro Flacco, 4.
  2. Hérod., I, 60 : Ἀπεκρίθη ἐκ παλαιτέρου τοῦ βαρβάρου ἔθνεος τὸ Ἑλληνικὸν, ἐὸν καὶ δεξιώτερον καὶ εὐηθείης ἠλιθίου ἀπηλλαγμένον μᾶλλον.