Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
INTRODUCTION

naturellement à se décrier ainsi eux-mêmes par l’effet de certaines différences locales dans les manières ou dans le langage. Il faut bien se garder de les en croire sur parole. Sans alléguer ici les grands noms littéraires ou politiques de la Béotie, on ne persuadera aujourd’hui à personne que les artistes ignorés qui modelaient sans prétention les jolies statuettes de Tanagra aient été des rustres et des lourdauds. Et quant à la gravité dorienne, ce serait une singulière erreur que de la concevoir comme une sorte de pesanteur d’esprit incompatible avec la finesse. Les bons mots des Spartiates étaient justement renommés dans toute la Grèce. Nous en possédons encore, dans la collection des œuvres morales de Plutarque, un ample recueil[1]. Moins gracieux et moins légèrement ironiques que ceux des Athéniens, ils avaient plus de concision et plus de force. Plusieurs sages, célèbres par leurs sentences, appartenaient à la partie dorienne de la Grèce ; et lorsque Cicéron dans son De Oratore voulait enseigner à aiguiser les mots spirituels qui sont une arme pour l’éloquence, c’était à tous les Grecs, sans distinction de tribus, qu’il demandait des exemples : « J’ai rencontré chez les Grecs, dit-il, une foule de bons mots : les Siciliens excellent en ce genre, et aussi les Rhodiens et les Byzantins, mais surtout les Athéniens[2]. » Les Grecs de Sicile en général sont pour lui « une nation fine et habile à la discussion (acuta illa gens et controversa natura)[3]. » « Jamais, dit-il, un Sicilien n’est dans un si mauvais pas

  1. Plutarque, Apophthegmata laconica et Lacænarum apophthegmata.
  2. Cicéron, de Oratore, 54.
  3. Id., Brutus, 12.