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INTRODUCTION

ces images qu’il portait en lui-même, et qu’il renouvelait sans cesse, présentaient des formes simples et des contours arrêtés. Le vague, l’obscur, l’indéfinissable n’y avaient, pour ainsi dire, aucune part. Tout y était éclairé, sinon également, du moins suffisamment. Il serait exact de dire qu’il ne faisait jamais nuit dans l’imagination d’un Grec. Et comme les choses démesurées sont forcément par quelque endroit des choses obscures, toute conception grecque était naturellement mesurée. Non que la mesure en tout soit, autant qu’on l’a dit quelquefois, un trait essentiel du génie hellénique. Les Grecs en ont manqué assez fréquemment dans la spéculation philosophique comme dans leur vie politique. Mais ils la gardaient sans effort dans les œuvres de l’imagination. Si cette faculté chez l’homme est plus que toute autre sous l’influence directe des sens, il semble que l’habitude de vivre sous un ciel souvent pur et d’avoir sous les yeux des horizons presque toujours nettement limités puisse être considérée comme la cause première de cette qualité vraiment nationale. Accoutumé dès l’enfance à ne jamais rencontrer, en portant ses regards autour de lui, ni l’infini, ni le vague, le Grec ne mettait ni l’un ni l’autre dans les images qu’il se formait à lui-même[1]. Le

  1. On connaît les beaux vers de la Médée d*Euripide à propos des Athéniens : Φερβόμενοι κλεινοτάταν σοφίαν, ἀεὶ διὰ λαμπροτάτου βαίνοντες ἁβρῶς αἰθέρος, κ. τ. ἑ.Cic., de Nat. deor., II, 16 : Etenim licet videre acutiora ingenia et ad intelligendum aptiora eorum qui terras incolant eas in quibus aer sit purus ac tenuis, quam illorum qui utantur crasso cælo atque concreto. — É. Reclus, Nouvelle géogr. univ., Europe méridionale, p. 59 : « Ce qui ravit l’artiste dans les paysages des golfes d’Athènes et d’Argos, ce n’est pas seulement le bleu de la mer, le sourire infini des flots, la transparence du ciel, la perspective fuyante des rivages, la brusque saillie