Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/649

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L'ESPRIT GREC APRÈS L'ÉPOPÉE 599

possible de penser sans songer sans cesse à tout cela ; les jugements sur les choses présentes impliquaient une comparaison perpétuelle avec celles du passé. C'était aux souvenirs de l'épopée que la poésie lyrique allait donc emprunter les diverses images d'idéal héroïque dont elle aurait besoin, soit pour instruire, soit pour blâmer, soit pour encoura- ger ; bien loin de rompre violemment avec ces admirables récits, elle devait en fait se les approprier pour les mettre en œuvre à sa manière.

Et à côté de cette influence visible et reconnue, combien l'influence secrète des mêmes poèmes n'allait-elle pas agir profondément ? L'épopée avait fait pendant plusieurs siècles l'éducation intime des esprits ; elle avait rempli les imaginations de belles et grandes images, elle avait mis en circulation une quantité presque infinie de sentiments et d'idées, elle avait créé un langage délicat et superbe. Lorsque le lyrisme commença à s'organiser, tout ce qu'il y avait en Grèce d'hommes sensibles à la poésie ne pensaient que par Homère et par Hésiode. Les poèmes qu'on leur attribuait étaient alors la seule littérature connue. Chacun gardait leurs vers dans sa mémoire comme l'expression la plus simple et la plus parfaite de tout ce que la vie avait enseigné aux générations antérieures. Ce n'était pas, comme pour nous, une des formes de la poésie, c'était la poésie absolu- ment ; et la poésie, c'était tout, en fait d'expérience morale, de science historique, de satisfactions intel- lectuelles et esthétiques. Donc on vivait dans l'épo- pée, on y respirait, on y habitait. Naturellement les grandes qualités du génie hellénique qui l'avaient clle-mônic produite se fortifiaient à présent par elle, sans qu'on en eut même conscience. Des esprits tout imbus d'Homère et d'Hésiode étaient par là même

�� �