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INTRODUCTION

confondait les idées ainsi associées, de telle sorte qu’elles leur apparaissaient bientôt ensemble comme une idée simple ; la distinction primitive des éléments s’effaçait et la notion composée devenait un tout indivisible. Phénomène bien sensible encore, même pour nous, dans des mots tels que opifex, artifex, tubicern et une foule d’autres, que l’esprit ne songe plus à décomposer, tant leur dualité originelle a disparu. En fait, dans les mots composés latins, l’un des radicaux, perdant à peu près sa valeur propre, n’est plus qu’un suffixe, et la composition n’est guère dès lors qu’un procédé particulier de dérivation. Voilà pourquoi elle a cessé bientôt de s’exercer comme une fonction régulière dans la vie du langage. Combien les choses ne sont-elles pas différentes à cet égard chez les Grecs ! Pour eux, ce jeu de l’intelligence, groupant des éléments divers de pensée dans des combinaisons nouvelles et toujours vivantes, était aussi facile qu’agréable. Leur esprit vif et leur imagination nette ne perdaient jamais de vue complètement les idées ou les images distinctes qu’ils se plaisaient ainsi à rapprocher dans des composés ingénieux ou sonores. Chacune d’elles gardait une part de sa valeur propre tout en mettant, pour ainsi dire, l’autre en commun. Rien de plus aisé à constater dans les épithètes de l’ancienne poésie épique par exemple. Mais peut-être l’étude de la prose classique est-elle encore plus décisive à cet égard. Sans doute les composés qu’on peut appeler descriptifs y sont devenus fort rares, mais l’aptitude à grouper les idées sans les confondre se montre aussi vivante qu’autrefois. Tandis qu’en latin, les verbes composés n’admettent guère qu’une seule préposition modifiant le sens du verbe simple (jacio,