Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
27
LA LANGUE GRECQUE

qu’il y ait de différence bien notable à cet égard entre les ressources naturelles des deux langues. Mais le grec a beaucoup plus profité des siennes que le latin. C’est le développement intellectuel du peuple qui a produit celui du langage. À mesure qu’ils ont inventé la rhétorique, la science morale, la politique, la philosophie, les Grecs se sont fait sans peine un vocabulaire spécial et complet pour chacune de ces études nouvelles, et ils n’ont eu besoin pour cela de rien emprunter à personne. Avant même la naissance des sciences proprement dites, la variété de la vie chez ce peuple aux sensations fines et multiples avait eu pour effet naturel de susciter dès les temps anciens un langage remarquablement riche. La même idée était exprimée de plusieurs manières, entre lesquelles la finesse naturelle de la race établissait bientôt dans l’usage des nuances délicates[1].

En ce qui concerne les mots composés, la comparaison du grec et du latin est particulièrement instructive. La faculté d’associer plusieurs racines ou plusieurs radicaux pour en constituer un terme nouveau est commune originairement aux deux langues. Mais peu mise à profit par les Latins, elle s’affaiblit chez eux de bonne heure au point de disparaître presque entièrement. Cela tient, semble-t-il, à ce que leur esprit, moins délié et moins analytique,

  1. Comparer par exemple entre eux les mots μένος, μῆνις, χόλος, κότος, θυμός qui appartiennent tous simultanément à la langue homérique avec le sens plus ou moins accusé de colère. La différence entre χόλος et κότος est bien sentie et finement indiquée dans ces vers (Il., I, 81) :

    εἴ περ γὰρ τε χόλον γε καὶ αὐτῆμαρ καταπέψῃ,
    ἀλλὰ τε καὶ μετόπισθεν ἔχει κότον, ὄφρα τελέσσῃ,
    ἐν στήθεσσιν ἑοῖσι.