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ALGMAN 291

et plus universel; la même raison de convenance qui avait décidé le choix d'Alcman devait empêcher ses suc- cesseurs de l'imiter sur ce point.

En ce qui concerne proprement le style, c'est-à-dire l'expression littéraire et le mouvement de la pensée, Alcman, au contraire, ne rappelle guère le Spartiate idéal, au parler bref, à la pensée sentencieuse. Le dialecte est un costume qu'on prend ou qu'on laisse, mais le style est « l'homme même », et le gracieux Alcman ne pou- vait changer sa nature. On trouve bien sans doute, parmi ses fragments, quelques sentences, celle-ci, entre autres, célèbre et souvent citée ou imitée : « L'expérience est le principe du savoir », πεῖρά τοι μαθήσιος ἀρχά 1. Mais ce sont là des hasards de pensée qui ne tirent pas à consé- quence : tout écrivain peut en montrer autant. Ce qui frappe, au contraire, chez lui, dans ces débris mutilés qui subsistent seuls, c'est le nombre et la grâce des images, c'est l'abondance d'un style qui se répand en énumérations faciles et brillantes, c'est une souplesse plus ionienne que dorienne et l'art de décomposer toutes les parties d'un tout sans briser le lien qui les unit. Sa phrase coulante fait le tour des objets comme un flot limpide et caressant. Elle est aussi claire que celle d'Ho- mère et les expressions homériques y sont fréquentes. Il décrit, par exemple, avec une admirable ampleur le sommeil de la nature :

Voici que dorment les cimes des monts et les abîmes, et les caps, et les torrents, et les tribus des reptiles que nourrit la terre noire 2, et les bêtes des montagnes, et la race des abeilles, et les monstres de la mer sombre; les oiseaux aux larges ailes sont livrés au sommeil 3.

1. Fragm. 63. Cf. fragm. 50.

2. Je lis, malgré Bergk, φῦλα (et non φύλλα) et ensuite ἑρπεθ᾽ὁπόσα avec Hartung (bien que le détail de cette correction aoit douteux).

3. Fragm. 60.