Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/119

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les esprits, y devint aussi plus étroite. Au début, comme le remarque Aristote, les poètes acceptaient presque toutes les légendes ; peu à peu, ils finirent par s’attacher à quelques familles exclusivement K Les Grecs, ayant l’esprit ingénieux, devaient aimer les rencontres fortuites d’événements qui ressemblent à des combinaisons de l’esprit. Il fallut quelque temps à leurs poètes tragiques pour se faire la main à ce genre de composition. C’était un métier à apprendre. Euripide, le premier, y excella; Sophocle, dans OEdipe-roi^ s’y révéla aussi comme un maître. Dès lors, la tragédie voulut des méprises, des malentendus prolongés, des reconnaissances, surtout des conjonctures extraordinaires qui armaient des fils contre leur père, des sœurs contre leurs frères, des mères contre leurs fils, de façon à exciter violemment les sentiments naturels par des situations contraires à la nature. Dans ces conditions, la terreur et la pitié devenaient les ressorts tragiques par excellence ou même les seuls ressorts de la tragédie. Un petit nombre de sujets seulement se prêtaient à des exigences si rigoureuses. Cette tendance était si naturelle à l’esprit grec qu’ Aristote a pu la prendre pour la loi même de l'art tragique. Malgré son autorité, il serait très injuste d’oublier qu’elle n’a prévalu définitivement que vers la fin de la période des chefs-d’œuvre. En fait, la tragédie grecque a été bien plus large dans ses conceptions, au temps d’Eschyle et de Sophocle, qu’on ne serait tenté de le croire d’après les formules de la Poétique, Nous le montrerons plus loin en parlant de ces deux poètes.

Disons aussi que, indépendamment de leur intérêt dramatique, les sujets choisis par les poètes avaient souvent, pour eux et pour leur public, un intérêt accessoire, religieux, politique ou philosophique ^ Mais, comme il

1. Aristote, Poétique, c. 13.

2. Une partie de ce sujet a été traitée par M. Weil dans sa disser-