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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/213

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SES PERSONNAGES 301

ils sentent d'autant plus profondément^gu^leur imagi- nation se donne tout entière à leur douleur et/qu^Ue est plus puissante. Comme le poète qui les a créés, ils sont tous méditatifs. Leur pensée dominante les obsède et repasse sans cesse dans leur esprit sous de nouvelles formes. A ce contact répété, la blessure se creuse do plus en plus et la passion s'irrite. Pour la passion ou pour la souffrance, ils s'exaspèrent par eux-mêmes, sans influence du dehors.

Quand le sujet du drame permet au poète de créer un premier rôle en qui l'action prédomine sur la souffrance, ce premier rôle, malgré son extrême simplicité, peut acquérir un relief extraordinaire. Quand au contraire il n'y a guère que de la souffrance et point d'action, il arrive que le premier rôle, faute de traits assez distincts, se rapproche des rôles secondaires, ce qui le diminue sans doute, mais sans diminuer nécessairement l'intérêt du drame.

Prométhée, Etéocle, Clytemneslre dans YAgamemnon, Oreste dans les Choéphores, sont des protagonistes du premier genre. Leur volonté est tendue vers un but, et rénergie qu'ils déploient, légitime ou criminelle, a quel- que chose de surhumain. Jamais de défaillance ni même d'hésitation à proprement parler ; le combat intérieur, le dissentiment de la conscience avec elle-même, Eschyle l'ignore ou le dédaigne. Tout au plus quelques indica- tions rapides, soit du rythme, soit de la poésie, pour noter, çà et là, ou le frémissement de la chair ou l'an- goisse de l'âme. En général, c'est plutôt par l'intensité même de l'effort que la faiblesse humaine se laisse encore deviner sous cette étonnante énergie. A peine si quelques plaintes échappent à Prométhée ; mais nous sentons qu'il se raidit dans le dédain de son supplice et de son vainqueur ; et ce dédain même est ce qui trahit sa souf- france. Oreste, dans les Choéphores^ ne se demande pas

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