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du savoir-faire encore absente de celle d’Eschyle : aura-t-elle, malgré sa force, la même puissance et la même originalité ?

IX

Ces dons variés ont fait d’Eschyle la plus grande figure de poète du ve siècle. Dans l’histoire de la poésie grecque, son œuvre se place immédia­tement au dessous de celle d’Homère. Il a créé la tragédie, comme l’auteur de l’Iliade avait créé l’épopée. Ses chefs-d’œuvre, en s’imposant à l’admiration de ses contemporains, firent oublier tout ce qui avait précédé et déterminèrent tout ce qui parut ensuite. Pendant plus d’un siècle, on les reprit sur la scène d’Athènes[1]. Ses grands successeurs, Sophocle et Euripide, modifièrent bien certains aspects de son art, mais, dans ses grands traits, la tragédie grecque resta ce qu’il l’avait faite. L’imagination athénienne l’avait vue apparaître tout à coup, grâce à lui, si grande et si belle, qu’elle ne pouvait plus la concevoir autrement. Cet empire d’Eschyle est particulièrement curieux à observer chez Euripide, dont le génie est si différent. Malgré lui, le poète novateur revient sans cesse aux exemples du maître. Il le critique, et pourtant il l’imite ; il essaie de se révolter, et il retombe sous sa domination. Au ive siècle, il est vrai, la popularité d’Eschyle semble diminuer ; on ne joue plus ses pièces que rarement ; mais alors même, aucune grande innovation ne se produit en dehors de la tradition qu’il a fondée. Plus tard, quand un certain goût d’archaïsme se mêle à toutes les tentatives de l’art, on revient à lui. Callimaque lui emprunte des expressions, Lycophron s’inspire de sa pensée. Par les Alexan-

  1. Vie anonyme : Ἀθηναῖοι δὲ τοσοῦτον ἠγάπησαν Αἰσχύλον ὡς ψηφίσασθαι μετὰ θάνατον αὐτοῦ τὸν βουλόμενον διδάσκειν τὰ Αἰσχύλου χορὸν λαμβάνειν. Cf. Quintilien, X, 1, 66.