Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/272

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question abstraite des droits de l’État, elle n’oppose pas la religion au pouvoir civil, ni la conscience individuelle aux prescriptions de la majorité ; toutes ces grandes choses sont impliquées sans doute dans ce qu’elle dit, et, entrevues, elles en font en partie la grandeur, mais la jeune fille les ignore profondément ; tout ce qu’elle sait, c’est que les dieux veulent qu’une sœur aime son frère et que, mort, elle ne le laisse point sans sépulture. Ce n’est pas une thèse qu’elle soutient, c’est une évidence morale qui s’impose à elle, c’est le plus spontané de ses sentiments affirmé hautement par sa conscience :

« Ces lois, ce n’est pas Zeus qui les a proclamées, ce n’est pas Diké, assise sous la terre auprès des dieux d’en bas, qui a déclaré que cela devait être parmi les hommes. Non, non, je n’ai pas dû croire que tes ordres eussent assez de force contre les lois non écrites des dieux, lois inébranlables, pour te mettre, toi mortel, au-dessus d’eux. Ah ! elles ne sont pas d’aujourd’hui ni d’hier, ces lois-là. Elles ont été et elles seront toujours, et personne ne peut dire quand elles ont commencé. Comment, moi, aurais-je voulu les enfreindre par crainte d’un commandement humain, certaine d’offenser les dieux, si je le faisais. Quant à mourir, n’était-ce pas le sort auquel j’étais destinée, sans qu’il fût besoin de tes ordres pour cela ? Si je devance l’heure fixée, c’est un avantage pour moi, je te le dis. Lorsqu’on vit, comme je vis, dans la douleur, n’est-ce pas un bien que de mourir ? Non, une telle pensée n’a rien qui m’afflige. Mais si j’avais laissé sans sépulture celui qui est né de la même mère que moi, alors j’aurais été malheureuse : je ne le suis pas aujourd’hui. »

Si quelque chose révèle dans leurs discours l’influence de la rhétorique contemporaine, en ce qu’elle avait de vraiment bon, c’est uniquement la clarté qui résulte d’une saine et rapide analyse des choses. Ils voient bien mieux que les personnages d’Eschyle les rapports des idées, ils ont l’esprit bien plus souple et plus exercé. D’ailleurs ils sont aussi éloignés qu’eux de toute vaine sophistique.