Qu’on se souvienne encore des paroles ardentes par lesquelles Électre réfute Clytemnestre quand celle-ci tente de se justifier. Nulle discussion de droit à proprement parler ; le fait est là que rien ne peut effacer. Elle défend son père parce que son honneur lui est cher, mais elle le défend par un simple récit. Du reste, elle menace et elle accuse, elle met le doigt sur la honte, elle fait parler sa misère, elle la jette en insulte au front de son adversaire, elle aiguise sa parole comme un glaive, non pour trancher les fils ténus d’un raisonnement, mais pour percer le cœur qu’elle a voué à la vengeance.
Ces quelques grands traits sont particulièrement frappants chez les protagonistes. Les personnages inférieurs, bien que soigneusement maintenus au second rang, ont pourtant, eux aussi, une grande valeur dramatique. En introduisant le troisième acteur, Sophocle s’était donné le moyen, non seulement de multiplier les rôles, mais aussi de laisser à ses personnages bien plus de liberté. Moins asservis aux besoins de l’action, ils se prêtaient désormais aux desseins variés du poète, qui pouvait produire, grâce à eux, des contrastes pleins d’intérêt. Ses rôles de deutéragonistes ont souvent une délicatesse charmante. Moins passionnés, moins forts moralement que les personnages du premier plan, ils plaisent au spectateur par cette infériorité même, d’où résulte une opposition instructive, mais non dure ni heurtée. Leurs sentiments, où la faiblesse de la nature a une large part, nous rappellent discrètement la mesure commune de l’humanité et par là font valoir la grandeur de ceux qui la dépassent. Tecmesse, Ismène, Chrysothémis ont été ainsi placées par Sophocle à côté d’Ajax, d’Antigone, d’Électre, Jocaste près d’Œdipe roi, Antigone près d’Œdipe à Colone. Le rôle de Néoptolème montre qu’une certaine faiblesse relative de la volonté pouvait même devenir pour le grand poète l’occasion de beautés dramatiques d’un or-