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L^HÉROISxME 329

qui en augmente le charme. C'est là le caractère du dé- vouement de Polyxène, d'Iphigénio, d'Alceste, d'Évadné, de Macarie. Polyxène, qu'on peut prendre pour exemple, se décide brusquement à mourir, non par stoïcisme, ni par aucune vertu extraordinaire, mais parce qu'il le faut, et qu'en face de cette nécessité cruelle, un instinct de dignité, une subite clairvoyance la détache tout à coup d'une vie sans honneur.

« Ulysse, je te vois cacher ta main sous ton vêtement et dé- tourner ton visage, de peur que je n'essaye de toucher ton men- ton. Rassure-toi; tu n'as pns à craindre de moi la supplication que Zeus écoute. Je te suivrai, parce que la nécessité l'exige, et parce que je désire mourir ; ne pas le vouloir, ce serait me montrer lâche et trop éprise de la vie. Vivre, à quoi bon? j*ai eu pour père le roi de tous les Phrygiens, voilà le début de ma vie; puis j'ai grandi dans de glorieuses espérances, recher- chée par des rois; une ardente rivalité les stimulait à l'hymen qui devait me conduire au foyer de Tun d'eux. J'étais sou- veraine, ô infortunée, parmi les femmes de l'Ida, j'étais admi- rée entre ses jeunes filles, égale aux déesses, si je n'eusse été mortelle. Et maintenant, me voici esclave. Ce seul nom déjà me fait aimer la mort, étant nouveau pour moi. Et puis, peut- être tomberais-je aux mains d'un maître cruel, qui à prix d'ar- gent m'achèterait, moi la sœur d'Hector et de tant d'autres; et il me forcerait à faire le pain dans sa demeure, à balayer sa maison et à passer, debout près du métier, des journées d'a- mère contrainte. Ma couche enfin, un esclave acheté au hasard la déshonorerait, ma couche qui autrefois paraissait digne des rois. Non, non, jamais; je renonce librement à cette lumière du jour et c'est Hadès à qui je livre mon corps. Emmène-moi, Ulysse, et conduis-moi à la mort. Plus d'espérance à mes yeux, plus rien qui puisse me faire croire à un retour quelconque de bonheur *. »

Cette forme de l'héroïsme est peut-être moins haute que le dévouement sublime de TAntigone de Sophocle; mais elle est certainement plus touchante ençgre. EUç

i. Hécubet 341,

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