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348 CHAPITRE VII. — EURIPIDE

lui-même, parle le langage simple de là vérité, et il le parle avec un accent de loyauté vraiment touchant.

Dans les argumentations passionnées, cette langue sou- ple sait se donner d'autres mérites. Elle devient âpre, ironique, violente. Il est vrai qu'elle manque d'haleine et qu'on ne lui voit guère déployer avec ampleur ces riches et chaudes expressions qui abondent en pareil cas chez Sophocle. Ce qu elle traduit admirablement, c'est le fré- missement de la colère, ce quelque chose de brusque et de saccadé qui indique la détente des nerfs irrités et contractés. Que peut-on imaginer de plus expressif et de plus vrai en ce genre que la prière menaçante de Cly- temnestre à Agamomnon dans Iphigénie à Aulis *? Au fond de cette âme violente, quel orage! Elle veut prier, et elle maudit; elle essaie de raisonner et elle pleure, s'emporte, menace tout à la fois. Elle est attendrissante et terrible. A mesure qu'elle parle, elle s'exaspère; une fureur secrète gronde sous son langage; elle raisonne pourtant; mais ses arguments, elle les jette d'une voix rauque, la gorge serrée, le sein haletant :

« Soit; tu sacrifieras notre enfant; et là, dans ce sacrifice, quelles seront donc tes prières? Quelle faveur demanderas-tu au dieu, en égorgeant ta fille ? Sans doute un retour funeste après un départ aussi infâme? Et moi, qu'est-il juste que je demande pour toi ? Ah I n'est-ce pas traiter nos dieux en in- sensés que de les prier d'être bons pour des meurtriers? Et dans Argos, à ton retour, te jetteras-tu au cou de tes enfants? Non, non, cela, tu ne le peux pas. Qui d'entre eux oserait même lever les yeux sur toi ? Pour que tu l'embrasses et que tu l'assassines?...

Le pathétique est dans les choses sans doute; mais qui donc en Grèce avait su jusque-là le traduire avec cette sorte de réalisme saisissant?

1. Iphigénie à Aulis» 4146 et suiv.

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