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SA LANGUE 349

« Admirable dans la peinture de toutes les émotions, a dit Quintilien, Euripide est sans égal dans celles qui sont faites surtout de pitiés » Et en effet, si nous l'avons montré précédemment plus attentif qu'aucun autre à la voix de l'instinct, ne convient-il pas d'ajouter que pour interpréter par des mots ces choses de notre nature intime, humbles et profondes, il a été le maître par excellence? Le langage de la souffrance, celui de la tendresse, de l'effroi, du délire, et, pour tout dire, le cri de la misère humaine, qui donc Ta rendu avec cette vé- rité ? Vérité d'autant plus frappante, qu'elle n'est point partiale, ni mutilée. Dans les gémissements, dans les sanglots même, il sait trouver des mots doux et tendres ou des accents fiers et profonds. La grâce délicate des images se mêle à Tamertume de la douleur. Selon l'ob- jet qui fait couler les larmes, la plainte a des tons va- riés. L'enfant qu'on arrache à sa mère pour le faire mou- rir prête encore quelque chose de son charme naïf au langage de celle qui le pleure. Un rayon de poésie sou- riante éclaire l'ombre lourde de la mort. Quoi déplus tou- chant et de plus gracieux à la fois, quoi de plus humain et de plus idéal que les adieux d'Andromaque à son fils dans les Troyennes ^?

« mon enfant, tu pleures? As-tu donc conscience de ton infortune? A quoi bon m'étreindre de tes bras, à quoi bon Rat- tacher à mes vêtements ? Pauvre petit oiseau, réfugié sous l'aile maternelle! Ah! il ne viendra pas, mon Hector, serrant sa lance vaillante et surgissant de sa tombe pour Rapporter le salut. Non, ni lui, ni toute cette race de frères, ni la force des Phrygiens ! Chose affreuse ! Lancé à travers le vide du haut des murs, le cou brisé dans une chute impitoyable, tu vas donc exhaler le souffle de ta vie. Oh ! l'étreinte de ces bras d'en-

��1. Quintil., pass, cité : In affectibus vero quum omnibus mirus, tum in iis qui miseratione constant, facile praecipuus.

2. Troyennes, 749.

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