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SES PERSONNAGES 555

malgré tout; il n'attend rien de personne, il va son che- min résolument. Il y a en lui du laboureur qui trace son sillon : il fait sauter les pierres, il tourne les rochers, et, tout en travaillant durement, il chante pour s'égayer. C'est une forte et joyeuse nature : il aime le vin, la bonne chère et le reste, il adore Phalès, mais il sait conduire sa maison. — Cléon et Agoracrite veulent aussi énergi- quement, et ils veulent tous deux la même chose, le pou- voir; mais Cléon par tempérament d'ambitieux, avec une sorte de jalousie basse, avec une fanfaronnade af- fectée, mêlée d'inquiétude: c'est un drôle qui tremble, tout en faisant le fier; Agoracrite, lui, n'est ambitieux que par accident; poussé dans l'arène malgré lui, il s'est piqué au jeu, et il tient plus à rouler son adversaire qu'à lui succéder; une fois lancé, il est superbe d'incongruité et d'audace; il a, comme auraient dit nos pères, «une puissance de gueule », qui est admirable; arrivée à ce degré, l'impudence prend un air d'héroïsme. D'ailleurs, ils sont retors l'un et l'autre, prompts de l'esprit et de la main, Athéniens jusqu'au fond de l'âme. Le vieux Dé- mos, qui fait le naïf, a aussi sa volonté; c'est un finaud qui voit clair en fermant les yeux; il trouve bon de se faire flatter et courtiser; toute sa politique est là, et par conséquent aussi tout son caractère. — Strepsiade, vrai paysan, simple et obstiné, malhonnête, non par nature, mais par occasion, tout effaré quand l'argent s'en va, n'a qu'une idée, qui est de ne pas payer ses dettes. Naïf à l'égard des choses qu'il ignore, incapable de rien enten- dre à tout ce qui est abstrait, il reste tout ébaubi devant la science, vraie ou fausse. Il croit pouvoir apprendre la rhétorique comme il casserait des pierres, à force de suer et de peiner ; rebuté par le maître, il met son fils à sa place; quand il touche au but, c'est un vrai triomphe, où déborde joyeusement tout ce qu'il y a en lui de pas- sion; mais son succès se retourne contre lui, et soudain

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