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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/583

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vie rustique, le poète a des expressions figurées, qui sont autant de métaphores réalistes, rapidement indiquées, mais non achevées : il ne laisse pas à l'esprit le temps de s’arrêter sur aucune image déplaisante, mais il nous fait entrevoir vite et comme en passant les détails précis de cette bonne et antique malpropreté où se délectait le bonhomme, la moisissure, la poussière que le balai ne soulevait jamais, le désordre naïf et commode ; tout cela non pas crûment, non pas avec de gros mots, mais par un tour neuf et poétique, qui n’exclut aucunement le terme propre; puis, du même ton, avec la même naïveté légère, avec la même hardiesse discrète, il suscite des images charmantes et vraies, des sensations rustiques et pénétrantes, le joyeux bourdonnement des abeilles, la bousculade du troupeau, l'odeur des fruits qui sèchent sur les claies. Cette vive et perpétuelle suggestion dans ce laisser-aller apparent, voilà bien une qualité tout à fait supérieure, qui donne à la langue d’Aristophane une saveur vraiment intime.

Mais cette langue est celle d’un poète comique, on pourrait presque dire du poète comique par excellence, et ce serait mal la louer que d’en faire valoir le charme descriptif aux dépens des autres qualités qui sont de l’essence même du genre.

Elle est prodigieusement adroite à jouer avec les mots. Dans le dialogue bouffon, elle triomphe au milieu des calembours saugrenus et des calembredaines. N’exagérons pas ce mérite, qui, par lui-même sans doute, est d’ordre inférieur. Encore faut-il reconnaître que, étant donnée la nature de la comédie ancienne, c’est une convenance de plus que cette sorte d’esprit, quand il jaillit de source. Certaines parties ne vivent même que par là, par exemple les parodies si fréquentes des tragédies et des dithyrambes. L’invention plaisante de ces passages n’est pas seulement dans le fond des choses, dans le contraste en-