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passages qui n’ont pu être écrits que postérieurement à la fin de la guerre, par exemple l’allusion faite, dans l’appréciation du caractère de Périclès, à la force de résistance déployée par les Athéniens, pendant dix ans encore, après les désastres de l’expédition de Sicile[1]. Il en résulte que même les premiers livres de l’ouvrage ont été, sinon écrits, du moins revisés après la prise d’Athènes par Lysandre.

S’il en est ainsi, sur quoi porte le différend ? Uniquement sur une question de mesure. Il est également certain que l’ouvrage de Thucydide n’a pas été rédigé en entier seulement après 404, et que les parties rédigées antérieurement n’y ont pris place qu’après revision.

Comment, du reste, en serait-il autrement ? S'il est incontestable que Thucydide, d’après son propre témoignage, avait conçu dès le début le projet d’écrire l’histoire de la guerre qui commençait, comment supposer, à moins de lui attribuer le don de prophétie, qu’après la paix de Nicias il ait prévu avec assez de certitude le renouvellement prochain de la guerre pour surseoir à l’exécution de son projet ? Et alors même qu’il eût été prophète ; quelle raison pouvait-il avoir de ne pas profiter du répit de la paix et des facilités de l’exil pour se mettre à l'œuvre sans délai ? D’autre part, s’il est certain que ces parties antérieurement rédigées ne furent jamais publiées à part, est-il vraisemblable qu’au moment où il se mit à les continuer et à les coordonner il n’ai-t pas pris soin de les revoir et d’effacer de son récit ce qui qu’aurait pu se trouver en contradiction trop forte avec la suite des événements ? C’est donc seulement sur la nature et le degré de cette revision que l’on peut discuter. Mais, réduite à ces termes, la question n’a plus guère d’importance[2].

  1. Thucydide, II, 65, 12. Cf. I, 1 ; 93, 5 ; 97, 2 ; II, 100, 2.
  2. Pour plus de détails, cf. ma Notice sur Thucydide, p. 89-71.