Pour conclure, par conséquent, disons que la seule chose vraiment intéressante est en même temps la seule tout à fait certaine : l’ouvrage de Thucydide, de quelque manière et à quelque date que les différentes parties en aient été rédigées, n’en a pas moins été, dans le dessein final de l’historien, une œuvre vraiment unique, revue par lui avec la volonté précise d’en faire un seul tout ; et si la mort l’a interrompu dans son travail, elle ne l’a pas empêché de conduire la plus grande partie de son œuvre jusqu’à son point de perfection. Arrivons donc à cette œuvre pour y chercher les qualités de l’historien et de l’écrivain.
III
Bien qu’Hérodote et Thucydide soient séparés par quelques années seulement, il semble qu’ils appartiennent à deux époques différentes, à deux âges de l’esprit grec. Hérodote est un Ionien légèrement effleuré d’atticisme, disciple des poètes, religieux, d’une curiosité vagabonde et conteuse, d’une imagination surtout gracieuse, d’une spontanéité ingénue. Thucydide est un Attique, élève des premiers sophistes, très libre d’esprit, très positif, très politique, d’une clairvoyance attentive et pénétrante, pleinement conscient de lui-même. Non seulement il diffère d’Hérodote et de ses prédécesseurs, mais il le sait et s’en fait gloire. Sa conception de l’histoire est nouvelle parce qu’elle dérive d’une philosophie, d’une conception de la vie, d’un idéal littéraire qui sont entièrement nouveaux.