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éloignées. La méthode d’exposition de Thucydide est à la fois originale comme sa méthode de recherches, et inspirée par l’esprit de son temps. D’une manière générale, on peut dire que Thucydide simplifie, concentre, idéalise la matière de l’histoire avec une hardiesse toute dramatique, par des procédés qu’il emprunte à la fois au drame et à la rhétorique du ve siècle.

Dans les récits proprement dits (qui forment d’ailleurs chez Thucydide, comme chez tous les historiens, la partie la plus étendue de son œuvre), il ne semble pas, au premier abord, que ces caractères se manifestent bien clairement, sinon dans la mesure ou la science moderne elle-même peut les admettre. Pour nous, en effet, comme pour Thucydide, il n’y a pas d’histoire véritable sans un récit suivi, et nous admettons à merveille, dans une narration de cette sorte, la nécessité d’un certain choix, par conséquent de certains sacrifices. Le genre de vérité que nous exigeons en pareille matière consiste d’abord dans l’exactitude des détails pris à part, ensuite dans une certaine vérité générale de proportion, d’harmonie, si bien que les circonstances choisies de préférence aux autres soient les plus considérables ou les plus expressives, et s’ordonnent ensemble selon le degré de leur importance relative. Or on s’accorde en général pour reconnaître sans hésiter chez Thucydide ce double mérite de l’exactitude dans les détails et d’une juste proportion dans l’ensemble. Bien loin de lui faire un reproche d’avoir sacrifié dans ses récits la science à l’art, on serait presque tenté parfois de lui adresser une critique tout opposée. Son livre, en effet, nous l’avons vu, procède par étés et par hivers, avec une rigueur inflexible. Jamais l’écrivain n’anticipe d’une saison sur l’autre. Jamais il ne réunit en une seule narration continue les divers actes d’une opération militaire qui embrasse plu-