Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
CHAPITRE IV. — SOCRATE

constants, c’est-à-dire la loi. C’est ce qu’on appelle faire une induction[1]. Les Mémorables de Xénophon présentent de nombreux exemples de ces raisonnements par induction. Une fois la loi trouvée, on en tire par déduction la conséquence particulière, mais Socrate n’a pas innové sur cette seconde partie de raisonnement, comme sur la précédente.

Induction et définition, ces deux mots résument toute la méthode constructive de Socrate[2].

Il est évident que l’usage du dialogue n’était pas plus nécessaire logiquement dans cette partie de la méthode que dans la partie destructive et critique. Il l’était même moins, puisqu’il n’y avait ici aucun adversaire (réel ou fictif) à réfuter : Socrate cependant n’a jamais imaginé que sa méthode d’induction et de définition pût se passer du dialogue. Cela tient à la conception très originale qu’il se faisait de son rôle et à toute sa théorie psychologique. Ni lui ni les autres ne savent rien. Il n’est pas un maître, il n’enseigne pas ; il a non des disciples (μαθηταί (mathetai)), mais des amis, des compagnons (οἱ συνόντες, οἱ ἑταῖροι (hoi sunontes, hoi hetairoi)), avec lesquels il cause pour tâcher de s’éclairer lui-même et eux avec lui. Cet échange d’idées sur lesquelles on travaille en commun lui semble indispensable. Car, si nul ne peut savoir, au sens rigoureux du mot, qu’après avoir institué une recherche méthodique, il n’en est pas moins vrai que beaucoup, par un don des dieux et de leur nature[3], ont en eux la vérité, quoique d’une manière latente et confuse. Leur âme en est grosse ἐγϰύμων (egkumôn)). Le rôle de la dialectique est de les accoucher,

  1. Aristote appelle l’induction ἐπαγωγή (epagôgê), et il parle des ἐπαϰτιϰοὶ λόγοι (epaktikoi logoi) de Socrate (Métaphys., XIII, p. 1078 B, 28). Le nom de l’induction ne se trouve ni chez Platon ni chez Xénophon : mais le verbe ἐπανάγειν (epanagein), dans les Mémorables (IV, 6, 13 et 14), exprime l’opération par laquelle Socrate ramène un fait particulier à sa loi.
  2. Aristote (loc. cit.) dit : Δύο γάρ ἐστιν ἅ τις ἂν ἀποδοίη Σωϰράτει διϰαίως, τούς τ' ἐπαϰτιϰοὺς λόγους ϰαὶ τὸ ὁρίζεσθαι ϰαθόλου..
  3. Οὐ σοφία, ἀλλὰ φύσει τινι ϰαὶ ἐνθουσιάζοντεσ (Ou sophia, alla phusi tini kai enthousiazontes) (Platon, Apol., p. 22, C.).