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VALEUR DE LA MÉTHODE

d’être une maïeutique (μαιευτιϰή (maieutikê)) : Socrate, le fils de la sage-femme, fait pour les esprits ce que sa mère faisait pour les corps[1] ; il ne leur apporte pas la vérité du dehors ; il les aide à produire au jour celle qu’ils renfermaient en eux-mêmes. On voit alors comment le dialogue lui est nécessaire. Ce qu’il demande à ses interlocuteurs, c’est de lui offrir des matériaux à élaborer et des matériaux que son propre fonds ne suffirait pas à fournir ; lui, de son côté, leur apporte ses procédés d’examen et de triage. sa méthode de vérification, de classement, de construction. Il y a donc entre eux et lui une collaboration véritable.

Les dangers de la méthode socratique sont de plusieurs sortes, et viennent de cette forme dialoguée aussi bien que du fond qui la constitue. On ne tirera jamais d’un dialogue, même sur un sujet de morale, toutes les données précises qu’une étude attentive et patiente des faits pourrait fournir ; surtout si l’on croit, comme Socrate, que la vérité, en toute matière, est déjà formée au fond de l’esprit et qu’il s’agit uniquement de la dégager. D’une manière générale d’ailleurs, on peut dire que le grand défaut de la méthode socratique, sinon par l’effet d’une théorie formelle, du moins en fait, est de ne pas donner une part assez grande à la description proprement dite et à l’observation préliminaire des choses, de couvrir trop vite à la classification, c’est-à-dire à une construction d’idées générales. Il en résulte (et c’est l’inconvénient que rendra plus frappant encore la hardiesse de Platon) qu’elle laissera les mots, ces signes des idées générales, se substituer peu à peu aux choses, devenir même des choses et vivre d’une vie idéale qui finira par sembler plus réelle que la réalité. Socrate observe peu ; c’est là, au reste, le défaut de toute la science antique, surtout avant Aristote. Socrate, fonda-

  1. Théétète, p. 149, sqq.