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des superstitions vulgaires, il apprit à voir dans les choses de la nature l’effet de certaines lois générales invariables[1]. Il transporta les mêmes dispositions dans la politique. Il voit de haut et loin. C’est à l’essentiel qu’il s’attache. Ses projets sont à longue portée. Aussi, les accidents ne l’émeuvent pas ; car il les a prévus d’avance[2] ; mais il a foi dans le triomphe définitif des forces profondes que son œil perçant a su découvrir là où le vulgaire ne les voyait pas. De là, dans son visage, dans son attitude, dans toute sa personne, une majesté un peu hautaine, image fidèle de sa grandeur d’âme. Il eut aussi des relations, dit-on[3], avec Zénon d’Élée, le dialecticien subtil, le disputeur incomparable, le « Palamède d’Élée », comme l’appelle Platon[4]. Il connut même Protagoras, le premier en date des sophistes proprement dits, et s’amusa parfois à discuter en sa compagnie. Un jour, dit Plutarque[5], il passa de longues heures à argumenter avec lui sur le sujet suivant : un homme, dans un gymnase, venait de tuer son adversaire, sans le vouloir, d’un coup de javelot ; lequel était le coupable, l’homme ou le javelot ? On voit le jeu d’esprit et l’exercice dialectique[6]. Xénophon nous montre quelque part[7] Périclès s’amusant, vers la fin de sa vie, à discuter d’une manière analogue avec son neveu Alcibiade, tout jeune encore, mais élève à la fois des sophistes et de Socrate. Alcibiade fut le plus fort, et Périclès lui dit en souriant : « Nous aussi,

  1. Voir dans Plutarque (Périclès, 6) l’histoire du bélier qui n’avait qu’une corne.
  2. Thucydide, II, 60, 1.
  3. Plutarque, ibid., 4.3.
  4. Phèdre, 261, D. Quintilien (III, 1, 10) applique ce mot à Alcidamas, mais à tort, sans doute.
  5. Périclès, 36, 3.
  6. Noter que ce sujet est celui qui sert de thème à la IIe tétralogie d’Antiphon.
  7. Mémor., I, 2, 40-46.