Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t4.djvu/35

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quand nous étions jeunes, nous nous plaisions à cette sorte d’escrime. » Sur quoi le neveu irrespectueux lui répond : « Je regrette, Périclès, de ne pas t’avoir connu dans ton bon temps. » Mais le « bon temps » de Périclès, quoi qu’en pût dire celui-ci, était moins subtil que celui d’Alcibiade.

L’éloquence à laquelle parvint cette riche nature ainsi préparée fut admirable. Les contemporains, sur ce sujet, sont unanimes, et les railleries des poètes comiques confirment les graves jugements des Thucydide et des Platon.

Avant tout c’était une éloquence de haute raison, et puissante par là-même[1]. À force de raison, il domine à la fois les choses et les âmes. Il domine les choses parce qu’il a pénétré leur secret, et qu’au milieu des tempêtes de la vie quotidienne, il a son rocher que le flot n’atteint pas ; il sait la loi qui préside à ces mouvements désordonnés ; il les mesure et en prévoit la fin ; il domine les âmes parce qu’il a sur elles le double ascendant de l’intelligence et du caractère : à la lumière de sa parole, les intelligences troubles de la multitude s’éclairent ; elles comprennent et elles obéissent ; devant sa volonté calme et forte, les volontés chancelantes ou emportées retrouvent leur équilibre[2]. Les discours que lui prête Thucydide, et qui n’ont d’ailleurs rien d’authentique dans le détail de l’expression, mettent du moins ce trait de son éloquence en pleine lumière[3]. De là ce surnom d’Olympéen que les poètes comiques lui donnaient pour se moquer[4], et qui est l’équivalent, litté-

  1. Τὸ ὑψηλόνουν τοῦτο καὶ τελεσιουργόν, dit Platon (Phèdre, 270, A).
  2. Κατεῖχε τὸ πλῆθος ἐλευθέρως καὶ οὑκ ἤγετο μᾶλλον ἢ αὐτὸς ἧγε……ὁπότε γοῦν αἴσθοιτό τι αὐτοὺς παμὰ καιρὸν ὕβρει θαρσοῦντας, λέγων κατέπλησσεν ἑπι τὸ φοβεῖσθαι, καὶ δεδιότας αὖ ἀλόγως ἀντικαθίστη πάλιν ἐπὶ τὸ θαρσεῖν (Thuc., II, 65, 9).
  3. Voir surtout II, 60 et 61.
  4. Aristophane, Acharniens, 530. Cf Plut., Périclès, 8, 1.