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rences de style qui existent entre les fragments moraux et les discours ; mais il faudrait parler aussi de la différence des genres ; quand Lysias faisait son métier de sophiste, il n’écrivait pas en logographe. Il faudrait aussi ne pas oublier certaines ressemblances qui sont surprenantes ; il y a, dans tel de ces fragments, des moules de phrase et des tournures extrêmement caractéristiques qu’on retrouve presque identiques dans le plaidoyer sur le meurtre d’Hérode[1]. Quant aux différences (grand nombre des mots, tour poétique du style), il faut songer que la question de date, outre celle des genres, peut avoir ici son intérêt. Les discours d’Antiphon semblent avoir tous été écrits dans les dix dernières années de sa vie[2]. Qu’avait-il fait jusque-là ? Pourquoi n’aurait-il pas eu, comme Lysias, avant sa période d’activité oratoire, sa période sophistique ? Et si par hasard il en était ainsi, pourquoi n’aurait-il pas, à la façon de Gorgias et de Protagoras, débuté lui aussi par des études philosophiques, par un Περὶ ἀληθείας ?

Quoi qu’il en soit, la valeur littéraire de cinq ou six de ces fragments est incontestable. La pensée en est grave, ferme, triste. Le style en est digne d’attention : sur un fond de dialectique solide, l’auteur cherche à répandre de l’éclat par la hardiesse des images et l’accumulation des mots[3]. Comme ce sont là, sans aucun doute, de très vieux débris de la prose attique, ils méritaient peut-être d’arrêter un instant notre curiosité, fût-ce au prix d’une discussion un peu épineuse.

  1. Comparer le fragm. 129 (phrase : ἐν ᾦ γὰρ δειμαίνει μέλλει, etc. avec Hérodote, 72 et 94.
  2. Blass, Attische Bered., t. I, p. 95.
  3. Sur le style de ces fragments, cf. Hermogène, loc. cit. Mais ce jugement, assez long, est peu net et plein de choses contestables. Cf. aussi Philostrate, Vie des Sophistes, p. 500 (Olear).