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THÉOCRITE ; IDYLLES RUSTIQUES

qualités lyriques et dramatiques qui vivaient côte à côte dans son esprit. Ce sont des pièces dont la scène, comme dans les précédentes, est tantôt aux champs et tantôt à la ville, et dont le cadre peut être soit dramatique comme celui d’un mime, soit purement narratif, soit mixte.

Pour les idylles rustiques de cette catégorie, le centre lyrique de la pièce est formé par un « bucoliasme » (βουκολιασμός), c’est-à-dire par une lutte musicale et poétique entre deux pasteurs. Cette sorte de chants lyriques alternés était en usage parmi les pâtres de la Sicile et de la Grande-Grèce. Ils charmaient leurs loisirs en jouant de la syrinx, formée de dix roseaux assemblés, et en chantant des airs populaires ou des airs de leur façon. Quand le hasard les réunissait, ils aimaient à se défier, et un voisin décidait quel était le vainqueur. On trouverait encore, dans les pâturages de la Sicile ou de la Corse, des vestiges de ce vieux et poétique usage[1]. Théocrite, fidèle en cela à la vieille tradition des poètes de la Grèce, n’a rien inventé : il n’a fait que recueillir un genre populaire, et l’élever, par la perfection de son art, à la dignité d’un genre littéraire. Cette lutte poétique se pratique de diverses façons : quelquefois, les deux chanteurs font entendre tour à tour une chanson complète, une sorte de petite ode ; d’autres fois, ils improvisent des chants alternés ou « amébées » (ἀμοιβαῖα μέλη), c’est-à-dire que, tour à tour, ils improvisent deux vers sur un thème semblable ou sur deux thèmes qui se font contraste : les thèmes parallèles ou contrastés, qui fournissent ainsi chacun quatre vers, se poursuivent d’ailleurs indéfiniment, au gré des chanteurs. Cette lutte lyrique est donc le centre du poème. Autour de ce chant, le mime

  1. Cf. Hartung, préface de la trad. de Théocrite, p. XXXV. — O. Bayet, dans son Mémoire sur l’île de Cos (Archives des missions scientifiques, 3e série, t. III), mentionne un usage analogue chez les bergers de l’île (cité par Couat, p. 400). Cf. Legrand, p. 159 et suiv.