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THÉOCRITE : CONCLUSION

rable. Dans le mouvement régulier et pressé des petits groupes de mots, plus juxtaposés que liés, on sent le frisson de la passion et en quelque sorte les battements du cœur. Nous avons cité plus haut la chanson de Bombyca : c’est un exemple entre beaucoup. Le thrène sur la mort de Daphnis, dans la première idylle, les plaintes de la magicienne, dans la seconde, avec leurs refrains incessamment répétés, sont des échantillons plus amples, mais non plus expressifs, de ce rythme passionné. On peut dire que c’est le rythme fondamental de Théocrite. Même dans la brisure savamment naïve du dialogue, on entend encore vibrer la passion. Dans le récit, dans la description, le mouvement général est encore analogue. Qu’on relise, pour s’en convaincre, les Thalysies, où se rencontrent tous les tons et toutes les formes de l’idylle : on verra sans peine que d’un bout à l’autre, sous les différences extérieures, ne cesse de vibrer la même imagination facilement émue, le même lyrisme incoercible. Par là, Théocrite est vraiment unique : ni dans la poésie antérieure (sauf peut-être quelques pièces de Sappho), ni parmi ses contemporains et ses successeurs, on ne trouve rien qui approche de ce don incomparable de sentir avec force l’émotion des choses et de la communiquer par le mouvement de la phrase[1].


On voit quelle alliance de rares qualités fait à Théocrite une place à part dans la littérature alexandrine ; il est réaliste et idéaliste, dramatique et lyrique, poète toujours par l’émotion, par le rythme, par le style. Son influence fut proportionnée à son originalité. Tout un

  1. Pour trouver un équivalent français, il faudrait arriver à Alfred de Musset, et se rappeler, par exemple, dans la Nuit de Mai, le début :

    Le printemps naît ce soir ; les vents vont s’embraser ;

    et tout ce qui suit.